Filmer le " non-film " d'un cinéaste iranien privé de sa liberté d'expression ... telle est la gageure de ce documentaire de Jafar Panahi. Avec la flegme et l'humour qui caractérisent beaucoup de films iraniens, Jafar Panahi nous fait partager son quotidien, à savoir celui d'un cinéaste assigné à résidence en attendant le verdict de la cour d'appel, condamné en 2010 à 20 ans d'interdiction de réaliser des films et à 6 années de prison.
Afin de rompre l'ennui qui l'envahit, il se met en tête de raconter devant la caméra de son ami documentariste, Mojtaba Mirtahmasb, le scenario de son prochain projet de film, film pour lequel il n'a pas non plus obtenu d'autorisation. Il " plante " alors le décors du film en disposant des bandes de ruban sur le grand et magnifique tapis persan de son salon pour délimiter les pièces de la maison dans laquelle l'action doit se dérouler. Mais cette tentative de raconter un film de cette manière lui apparaît insensée, et devient finalement un prétexte pour témoigner du présent de sa vie, un présent en suspens, dans l'attente d'une décision dont on comprend qu'elle est davantage politique que juridique.
Au fil des digressions, on perçoit la sensibilité d'un cinéaste qui se remémore ou visionne sur écran certaines scènes de ses précédents films et porte un regard transformé par sa réalité actuelle. Notamment en pensant à son film " Le miroir " réalisé il y a 15 ans, et dans lequel l'actrice, qui est une petite fille, se rebelle soudainement contre le scenario et retire le faux plâtre qu'elle a au bras. " J'aimerais pouvoir retirer mon plâtre " déclare-t-il en revoyant cette scène qui lui semble refléter sa situation personnelle.
Outre ses conversations avec le caméraman, ses échanges se limitent aux conversations téléphoniques avec ses proches, ses amis ou encore son avocate et ses contacts avec des personnes de l'immeuble où il habite mais qui ne seront pas filmées, mis à part un jeune étudiant en art qui travaille dans l'immeuble pour gagner un peu d'argent. Un autre " personnage " du film est assez fascinant, il s'agit de " Igi ", un iguane dont on observe de temps en temps le déplacement lent et élégant dans l'appartement.
Ce documentaire, qui est une sorte de huit clos, dénonce avec intelligence et ironie l'absurdité d'une situation pourtant bien réelle, celle d'un artiste qui est rempli de projets et d'envies de réalisation de films, mais qui est privé de sa liberté. En entremêlant scènes de fiction et réalité, Jafar Panahi exprime avec force, en filigrane, la détermination à maintenir l'art en vie. On ne peut être que résolument admiratif de cette démarche.
C'est un film qui rend hommage à tous les cinéastes iraniens risquant souvent leur vie pour exercer leur passion et duquel, en tant que spectateur, on ressort profondément frustré, de savoir que l'expression artistique iranienne, si riche et passionnante, est limitée dans son élan.
Voici la bande-annonce à défaut de voir le film en entier, qui mérite vraiment le " détour " ...
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