"Le manège tourne toujours. Les enfants crient de joie et la brume flotte devant leur bouche, le vent soulève leurs cheveux, je pense à deux choses : ces enfants pourraient avoir une otite. Et aussi : je pourrais m'approcher de l'homme assis sur le banc et partir avec lui."
C'est ainsi que se termine la première page du nouveau roman de Véronique Olmi "Nous étions faits pour être heureux". En lisant ces premières phrases on ne se doute pas que l'homme qu'elle observe dans ce jardin public est en fait l'homme avec lequel elle a vécu une histoire d'amour intense mais furtive et accessoirement interdite.
Elle, c'est Suzanne, la cinquantaine, mariée, accordeuse de piano. Lui s'appelle Serge, il a 60 ans et est marié avec une femme beaucoup plus jeune que lui, dont il est conscient qu'elle est la femme parfaite à tous points de vue.
Alors que Suzanne vient accorder le piano du fils de Serge, celui-ci ne la remarque même pas, c'est une femme ordinaire et discrète, sans charme particulier. Pourtant, un concours de circonstances va les faire se rencontrer à nouveau, et ils vont chavirer dans une histoire d'amour improbable mais d'une intensité nouvelle pour chacun d'eux. Lors de cette relation qui ne durera que quelques semaines mais qui va bouleverser Serge, celui-ci va dévoiler à Suzanne des épisodes enfouis de son enfance qu'il n'a jamais racontés à sa femme.
C'est une histoire d'amour impossible mais libératrice car elle révèlera à Suzanne ses motivations profondes, notamment son besoin d'indépendance et la pratique du piano, et elle sera l'événement déclencheur pour Serge qui lui permettra de renouer avec son passé d'enfant et peut-être d'entamer enfin une vraie relation avec son propre fils.
J'ai trouvé ce roman touchant car il met en scène des personnages qui ont une profondeur tout en étant très pudiques et dont les failles intérieures sont peu à peu révélées. J'ai surtout aimé l'idée mystérieuse qu'une rencontre spécifique, à un moment particulier d'une vie, même si elle est éphémère, puisse déclencher une déflagration intérieure et ramener un individu à des événements du passé ou de son enfance qu'il avait enfouis et cachés à ses proches.
Quelques extraits :
"Et je voyais comme il était bien chez lui, concentré sur ce qu'il aimait, à l'abri de tout ce qu'on exige de nous et de ce qu'il faut paraître."
"Lucie hésite à ressortir aussitôt, elle sait que Serge n'aime ni la foule ni le bruit, il a besoin d'espace, de propreté aussi et l'endroit est d'une crasse ancienne et incrustée, elle la sent partout, sur les murs, le comptoir, les serveurs, une saleté faite de graillon et de la fumée de cigarettes, de fatigue et de dépravation médiocre. Son mari n'aime que ce qui est neuf, comme elle, frais et lumineux."
"Et Serge regarde la piste de danse improvisée, au centre de ce bar étroit, où tous sont tenus par la beauté d'une voix unie à quelques instruments, batterie, saxo, piano, mais pas seul le piano, pas insupportable pour une fois, pas dominant mais soumis, et c'est la voix qui compte, impure et heurtée, il aime cette voix humaine, tellement abîmée. Il sent la joue de Lucie contre son épaule, une enfant fatiguée, ils ne vont jamais dans ce genre d'endroit, sans tenue ni cohérence, et il se demande comment fait cette femme sur la piste pour danser seule, cette femme plus très jeune ni très jolie, qui bouge comme si tout lui était destiné, la chaleur aigre, l'air saturé, la vie du bois sous ses pieds, de la terre sous le bois, de l'eau sous la terre, comme si elle n'avait pas peur. Oui. C'est cela qui captive et choque Serge quand il voit Suzanne pour la première fois : à quel point elle vit sans avoir peur. Ses hanches sont trop épaisses, il pense. Et aussi : elle est belle."
"Pourtant je fais mon possible, je me concentre, je rentre chaque soir dans cet appartement qui sent le cuir brûlé et le café, qui sent ce que les voisins font à manger, qui sent les jours qui passent et s'amoncellent comme du linge sale, sans forme, sans nouveauté, et est-ce que cela n'est pas la plus grande des injustices, qu'un homme, un inconnu, frappe à votre porte et en une heure à peine, renverse votre vie?"
"Parfois l'avenir semblait vaste, parfois je me trouvais pitoyable. La solitude est à vous, elle vous tient, et on ne sait jamais si c'est une délivrance ou une malédiction. Va-t-elle vous donner des ailes ou vous réduire à une existence de petits pas ? J'étais entre deux mondes. Si libre."
"Elle était liée au piano, c'était sa respiration , elle s'asseyait derrière le clavier et puis voilà, sa journée commençait. Il y a des femmes qui le matin ouvrent les volets. Thérèse ouvrait son piano. Je savais toujours où elle était. Ce qu'elle faisait. Elle voulait jouer le premier mouvement de la Sonate en si mineur de Liszt... elle n'y est jamais arrivée."
"Mais les enfants savent qu'après la chanson le manège s'arrête, alors leurs parents descendront, et ils leur feront ce petit signe qui ne trompe pas Hou hou ! Viens donc par là ! Et alors, même si les parents ont oublié ce qu'ils s'étaient promis de faire pour ces petits, et comment ils les avaient nommés, ce ne sera pas grave. Pour être à égalité, les enfants oublieront à leur tour, les listes de voeux, et tout ce qu'ils attendaient de leurs parents et qu'ils ont esquivé, raté, bousillé, massacré. Ils oublieront et ils leur prendront la main. On peut penser qu'alors, simplement, ils les conduiront chez eux, quelque part entre l'amnésie et le pardon."
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