Dans son roman "Le requiem de Franz" Pierre Charras donne la parole à Franz Schubert qui, alors âgé de 31 ans et succombant peu à peu à la maladie, vit ses dernières heures dans une chambre de Vienne en 1828. C'est donc à la première personne que le narrateur nous plonge dans l'intimité de ce compositeur exceptionnel et partage avec nous les confidences et réflexions sur sa vie passée.
Au cours de ce récit, on découvre la vie que Schubert a menée à Vienne, son admiration pour Mozart et Beethoven, ses doutes et ses remises en cause en tant que compositeur, ses déboires amoureux, son amour inconditionné pour sa mère et ses relations difficiles avec son père, son émotion lorsqu'il a entendu pour la première fois Paganini en concert, ses soirées arrosées avec ses amis dans les cafés viennois...
C'est un livre troublant, car il parvient à nous faire entrer dans la pensée intime de Franz Schubert et à nous faire ressentir une proximité extraordinaire avec le personnage. Un livre bouleversant, et terriblement émouvant. On est souvent envahi par l'émotion en lisant ces lignes qui évoquent les tourments, les doutes, la mélancolie et la grande tristesse que Schubert a connus, alors qu'aujourd'hui, 200 ans après, on est toujours profondément touché par la beauté de sa musique qui fait partie de notre quotidien.
Quelques extraits ...
"On peut dire que la mort de Beethoven m'a en quelque sorte libéré. C'était une ombre immense qui planait sur toutes les musiques. Je me sentais écrasé, asphyxié, sans voix. Et d'ailleurs je l'étais, sans voix. Je ne faisais que l'imiter : j'étais son serviteur. En s'effaçant de la vie terrestre, il a dénoué une entrave, il m'a transmis une responsabilité, j'en ai la conviction. La certitude. Me voici devenu moi-même. Jamais, sans cette mort, je n'aurais su mener à bien ce Quintette en do majeur que j'ai pourtant composé de bout en bout; jamais je ne me serais autant éloigné de cet impeccable exemple pour signer la symphonie du mois de mars. Avant le décès du grand homme, j'en restais à hier, et depuis cet événement, j'écris comme demain. C'est du moins ce dont j'essaie de me persuader tant il me manque. Au point que je crois parfois l'apercevoir au détour d'une rue."
"Je n'aurai eu le temps de rien. Même pas celui de connaître l'amour. Je parle bien sûr de celui qu'on reçoit. Pour ce qui est de celui qu'on donne, je ne l'ai que trop éprouvé. Et cette haute muraille qui l'a toujours arrêté, au bout du compte, est tout entière dans ma musique. C'est à se demander ce que j'aurais composé si j'avais été heureux. Si, même, j'aurais composé. Mais j'aurais été heureux !"
"...mais c'est autre chose que je cherche dans le silence. Je ne voudrais pas m'appuyer sur cet indicible, mais y aboutir. (...) Je l'ai parfois frôlé, ce silence, ce silence d'avènement, ces derniers temps. Notamment dans le Quintette de cet été, dans lequel je fais intervenir deux violoncelles (...) et que la disparition de Beethoven m'a poussé à écrire. Et aussi dans le mouvement lent d'un des deux Trios pour piano, violon et violoncelle composés l'an dernier, celui en mi bémol majeur : il y a là-dedans ce cheminement, cette irrésistible progression qui ne peut conduire qu'au son parfait, c'est-à-dire au silence."
"A cet instant, j'étais tout plein. J'étouffais même. La musique poussait, s'affolait, cherchait une issue. Elle voulait s'exprimer. Exister. Hors de moi. Malgré moi. Je n'étais plus qu'un passeur. Qu'un outil. Pas un artiste, non, pas même un artisan. Juste un véhicule. Un relais. Elle m'innervait, jaillissait de moi, en vagues inégales. C'était difficile. Il fallait faire vite, déjà je n'entendais plus très nettement les harmonies qui m'avaient paru, à mon réveil, si évidentes."
"La mort sera ainsi serrée entre le ré de mon Quatuor et le mi de mon Requiem. Elle sera prisonnière de ma création, captive de la musique. Et bien forcée alors de relâcher l'étreinte qu'elle veut m'imposer. Mais c'est trop tard évidemment. Je meurs aux pieds de la faucheuse qui ricane, les poings aux hanches. Entend-elle seulement toute cette beauté ?
et toi, papa, l'entends-tu
Je suis cette jeune fille qui tend la main.
Il me semble parfois que je me tiens en équilibre sur le rebord d'une fenêtre, au dernier étage d'un immeuble, et que je vais tomber.
Il me semble parfois que je tombe.
Et, en ces occasions-là, justement, je"
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